Le 22 avril dernier, la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud Belkacem annonçait l’équipement de 25% des classes de 5ème en tablettes numériques, soit environ 175 000 collégiens équipés à la rentrée 2016. Des contenus seront accessibles d’ici le mois d’août et les enseignants de collèges sont invités à suivre 3 jours de formation au numérique d’ici le mois de juillet. Le gouvernement privilégie donc un équipement massif des élèves en outils numériques puisqu’en 3 ans, 100% des élèves de collège devraient posséder un outil numérique personnel.
Le plan numérique pour l’école : une mise en oeuvre confuse
S’il n’est pas question de remettre en cause l’objectif global qui est de faire entrer l’école dans l’ère du numérique et ainsi de préparer l’avenir de notre pays, on peut se poser des questions sur la stratégie de mise en œuvre. Un déploiement massif de tablettes est probablement un bon coup en terme de communication politique. Il permet d’annoncer du concret et de réaliser facilement (bien qu’avec 2 ans de retard) une promesse de François Hollande. Mais il démontre une confusion entre le numérique, cette révolution qui transforme profondément notre société, et les outils et technologies qui le constituent. Maîtrisés, ces outils numériques peuvent être intéressants pour amener de la variété dans les supports d’enseignement, mais réduire l’école numérique au remplacement des livres par des cahiers d’exercices numériques, interactifs et collaboratifs, c’est prendre le problème par le petit bout de la lorgnette. Les tablettes ne sont que des interfaces vers le monde numérique; elles ne permettent pas de le comprendre et donc de s’y préparer.
D’autre part il faut cesser de se focaliser sur l’objectif qui est de mieux apprendre grâce aux outils numériques. Une étude récente de l’OCDE parue en septembre 2015 démontrait que le numérique à l’école n‘améliore pas les performances scolaires. D’ailleurs, les pays où les élèves font un usage modéré de l’ordinateur en classe enregistrent de meilleurs résultats scolaires. Décliner le plan numérique pour l’école en déployant des outils numériques dans le but d’améliorer l’enseignement dans les matières traditionnelles est une erreur qui met en lumière la déconnexion de nos élites politiques vis à vis du numérique.
Apprendre à évoluer dans un monde qui change
La révolution numérique est souvent comparée à la révolution de l’imprimerie pour décrire le bouleversement que nous vivons. Si l’imprimerie a permis de fixer les savoir et de les transmettre, internet a rendu le savoir accessible à tous et instantanément. Il n’est plus cet élément rare et précieux transmis par un professeur à ses élèves.
Par ailleurs, le changement induit par cette révolution est tellement violent que le monde futur dans lequel évolueront les élèves nous est partiellement inconnu. Il est intéressant de noter que selon le Département d’État américain du Travail, 65 % des écoliers d’aujourd’hui exerceront, une fois diplômés, des métiers qui n’ont même pas encore été inventés ! Si la fonction de l’école est bien de préparer les citoyens de demain, il est absolument nécessaire que l’école change et entre dans l’ère numérique pour leur transmettre les clefs de ce monde nouveau. Face à ces changements radicaux, les compétences à transmettre doivent évoluer. Elles sont à la fois techniques pour comprendre comment fonctionne le numérique, mais aussi non techniques pour apprendre à naviguer dans un monde submergé par l’information et pour comprendre les impacts du numérique sur les hommes et la société. A ce titre, l’esprit critique, la créativité, la capacité à résoudre des problèmes, la maitrise de son identité numérique sont aussi importants que les bases de la programmation.
Sur ce dernier aspect, le débat est féroce entre ceux qui voudraient voir les langages de programmation enseignés dès le plus jeune âge, rapprochant ainsi le code informatique d’une nouvelle langue qu’il faudrait absolument maitriser, à ceux qui ne veulent pas les voir entrer dans les enseignements du second degré. Si je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’apprendre des langages de développement spécifiques, je pense que la découverte de la programmation fait partie de la culture numérique qui doit être enseignée aux élèves. Les environnements de programmation visuels sont de très bons outils pour cet apprentissage.
Pour transmettre cette culture numérique dans son ensemble, nul besoin de mettre une tablette dans les mains de chaque élève. Au niveau des infrastructures et des outils, un lieu d’enseignement et de création de type fablab éducatif disposant d’un matériel varié (tablettes, robots éducatifs programmables, imprimantes 3D, …) et d’exercices centrés sur le jeu et la créativité serait probablement plus adapté aux enjeux. Sur ces sujets il serait intéressant d’étudier les synergies à développer avec les start-up françaises évoluant dans le domaine “Edtech”.
Former les enseignants de toute urgence
Par ailleurs, cette transformation ne se fera pas sans la participation de ceux qui doivent être les principaux acteurs de ce changement, les enseignants. Or, ils semblent être les grands oubliés de ce plan numérique. Probablement adepte de la méthode coué, la ministre annonçait il y a quelques jours “Le plan numérique à l’école renforce encore le rôle des enseignants”. J’imagine qu’un certain nombre d’enseignants ont du avaler leur tartine de travers en écoutant ces paroles. Encore une fois le problème est pris à l’envers. Il faut renforcer le rôle des enseignants pour réussir le plan numérique à l’école ! Comment croire qu’avec 3 jours de formation, des enseignants seront capables de se muer en acteurs de la transformation numérique de l’école. Est-ce suffisant pour comprendre comment le numérique va transformer la santé et les enjeux éthiques que cela entraine, pour aborder le sujet des robots ou de l’intelligence artificielle, pour comprendre les problématiques de vie privée ou pour être capable d’initier les enfants à la programmation?
Le numérique pose donc avec encore plus d’insistance la question de la formation des enseignants. Or c’est précisément dans le domaine de la formation continue que la France perd du terrain par rapport aux pays qui obtiennent les meilleurs résultats scolaires. Nous ne consacrons que 3 jours par an à la formation continue des enseignants alors que la moyenne européenne est de 8 jours ! Bien entendu, quelques enseignants passionnés et prêts à s’auto-former réussiront à propulser leurs établissements dans l’ère numérique, mais sans un plan de formation ambitieux, ils risquent d’être bien isolés. Alors, plutôt que de dépenser des centaines de millions d’euros dans des tablettes qui seront obsolètes dans 3 ans, il est urgent de repenser la mise en oeuvre du plan numérique à l’école et d’investir dans la formation de nos enseignants.